par Sylvain Bourmeau
C’est une exception culturelle française et c’est devenu un genre « littéraire » : le livre politique. Ou plutôt : « le livre d’homme (ou de femme) politique » puisque ces volumes, souvent médiocres, n’existent en général qu’à travers des signataires qui n’en sont, de surcroît, pas toujours les véritables auteurs.
La Révolution française n’est pas terminée, l’ouvrage que publie en cette rentrée Vincent Peillon est donc objectivement, du simple fait qu’il s’agit d’un vrai livre, un événement.
Docteur en philosophie et responsable politique socialiste, Vincent Peillon a délaissé un instant les manœuvres qui l’ont conduit depuis qu’il milite dans ce parti à successivement faire alliance avec François Hollande, Arnaud Montebourg et Ségolène Royal (dont il fut l’un des porte-parole pendant la campagne présidentielle et dont il est toujours proche) pour prendre le temps de lire les travaux d’une nouvelle génération de chercheurs, historiens et philosophes. Il en a conçu un livre très personnel qui s’appuie sur ces recherches pour proposer une refondation intellectuelle du parti socialiste et, au-delà, de toute la gauche. Espérons, pour la qualité du débat politique, qu’il trouve des lecteurs, y compris des contradicteurs, jusque dans son propre parti.
Le grand mérite du livre de Vincent Peillon, c’est d’exhumer la richesse – très largement méconnue – de la tradition socialiste française. C’est notamment en s’appuyant sur les travaux récents de Jean-Fabien Spitz (son livre majeur, Le Moment républicain en France) et de Serge Audier qu’il retrace les liens anciens qui unissent socialisme et libéralisme, en s’attachant en particulier au solidarisme. Aussi précis que convaincant – on regrette juste qu’il n’ait pas sollicité les cours décisifs de Michel Foucault sur le libéralisme –, ce petit livre de Vincent Peillon ouvre une piste pour l’immense chantier de la reconstruction intellectuelle de la gauche.
La Révolution française n’est pas terminée : par ce titre un peu accrocheur, Vincent Peillon répond bien sûr à François Furet qui, en cette année 1989 de bicentenaire et de chute du mur de Berlin, « s’était fait prophète pour nous annoncer la grande nouvelle de la fin de la Révolution française et, avec elle, de la République, seulement bonne désormais à se perpétuer comme nostalgie ». Au nom d’une « nouvelle génération intellectuelle et politique », Vincent Peillon récuse cette vision d’une histoire qui n’en finit pas de finir.
Dans son livre, Vincent Peillon expose toute la richesse du socialisme français du XIXe siècle, une richesse méconnue et récemment remise en évidence par les travaux de philosophes comme Jean-Fabien Spitz et Serge Audier, auxquels il emprunte les analyses. Vincent Peillon évoque à ce propos une « véritable amnésie, une mémoire blessée de l’identité nationale », une profonde « méconnaissance des concepts et des auteurs qui ont forgé cette République ».
Lorsque Vincent Peillon parle des « républicains de principe », ce n’est pas au sens très contemporain du mot. Ce n’est pas Régis Debray ou Jean-Pierre Chevènement qu’il désigne. « Il n’y a aucune raison d’abandonner la République à ces néo-républicains qui ont historiquement échoué à la défendre et même réussi à la rendre très désagréable. »
Individualisme et socialisme
Dans cette réflexion sur la République, Vincent Peillon propose de réarticuler les concepts de liberté, d’égalité et de fraternité. En s’appuyant sur les républicains de principe comme Jaurès (« mon socialisme, c’est l’individualisme logique et complet ») mais aussi sur des travaux récents de sociologie, comme ceux de François de Singly, il montre comment, loin d’être antinomiques, socialisme et individualisme marchent de pair.
Repenser ainsi la République permet de récuser la dichotomie entre l’économique et le politique. Pour Vincent Peillon, « la République n’est pas une superstructure morale et politique », c’est aussi « une théorie des jouissances et de la production des richesses ». Il ajoute : « Les économies les plus performantes sont précisément celles capables d’assurer des garanties sociales aux plus nombreux et d’organiser la concurrence… »
Depuis qu’il s’est engagé, Vincent Peillon constate un « divorce total entre les intellectuels et la politique », et il « en fait assez peu grief aux intellectuels ». Il pointe au contraire chez les politiques « la dégénérescence de la curiosité intellectuelle et du respect qu’on doit à la chose intellectuelle », soulignant « la part de responsabilité de la gauche » qui ne « résoudra pas sa crise politique tant qu’elle ne résoudra pas sa crise intellectuelle ». « Ce mépris des idées, ajoute-t-il, explique trois défaites à la présidentielle. »
Mépris pour les idées : la part de responsabilité de la gauche
Comment réagit-il lorsque Bertrand Delanoë et Ségolène Royal se disputent à propos des relations entre socialisme et libéralisme ?
Page 72 de son livre, Vincent Peillon écrit que « le prix théorique de l’unité pratique des socialistes a été si coûteux que le socialisme français n’a cessé de le payer tout au long du siècle qui vient de s’écouler et qu’il le paye encore ». Est-ce une nouvelle fois ce qui va se produire au congrès à Reims ?
par Sylvain Bourmeau