Ce dimanche, le quotidien "Le Bien Public" publiait un entretien de Vincent Peillon réalisé mercredi 13 mai.
LE BIEN PUBLIC - Vous passez du Nord-Ouest, où vous étiez élu, au Sud-Est. Quelle est votre méthode de campagne ?
Vincent Peillon - Dans la grande région Sud-Est, les socialistes ont un réseau d'élus considérable. On s'appuie sur ce réseau extrêmement puissant. On a décidé de faire une campagne très tôt et tout à fait intense parce qu'on a senti que, d'une certaine façon, certains voulaient esquiver le débat européen.
Je fais une campagne exclusivement centrée sur les sujets européens, qui sont considérables, en rencontrant le maximum de forces vives qui se sont engagées dans l'action : des associations, des syndicats, des entreprises, le monde de la culture. Tous les gens qui finalement s'intéressent à leur destin, qui est aujourd'hui européen.
La droite pratique la loi du mensonge
Quelles sont les premières réactions que vous font remonter les électeurs ?
Je crois qu'il y a une très grande confusion, entretenue par la droite, qui pratique au plan européen comme au plan national la loi du mensonge. Les gens sont perdus sur l'Europe parce qu'on leur interdit un débat.
La Turquie par exemple, qui est au cœur des préoccupations des Français : on entend Nicolas Sarkozy dire qu'il est contre l'adhésion de la Turquie mais il n'est pas contre puisqu'il ouvre les négociations aujourd'hui. En décembre 2008, il préside l'Europe et a ouvert lui-même deux chapitres de négociations d'adhésion.
Nous, socialistes, sommes dans un premier travail, démocratique, qui est de donner l'information qui n'est pas donnée et de rétablir les faits, sur les sujets socio-économiques, sur les sujets d'immigration, sur les sujets d'élargissement…
Nous, nous faisons une campagne de vérité. Je crois qu'on en a besoin. Une démocratie saine a besoin de vérité. Nous disons, nous, pourquoi on a besoin de l'Europe. Tous les défis qui sont les nôtres aujourd'hui - crise alimentaire, défi écologique, défi de la paix, défi économique et social - on le sait, on ne pourra pas y répondre tout seul. On ne sera pas concurrent des Etats-Unis. On ne fera pas face à la Chine tout seul. On ne mettra pas fin au dérèglement climatique tout seul, nous avons besoin de l'Europe. Et ceux qui vous disent que le repli national - et il y en a à gauche comme à droite - le repli sur nous-mêmes serait une meilleure chose, nous trompent.
Pourquoi faut-il politiser le débat ? La gauche en Europe, ce n'est pas comme la droite. Aujourd'hui, c'est la droite qui dirige et nous avons besoin de réorienter la construction européenne, l'harmonisation sociale et fiscale. On essaie de nouer un débat sur des orientations, sur des faits qui permettent aux Français de choisir leur destin, alors que d'autres souhaitent brouiller les cartes.
L'indifférence, le cynisme, la peur profitent toujours à la droite.
Vous croyez toujours en la possibilité d'une Europe politique et par extension sociale ?
Cette Europe émerge, pour nous et pour beaucoup d'autres pays. Cette Europe apporte tout de même des améliorations sociales pour ceux qui viennent de nous rejoindre. Mais la droite utilise l'Europe pour s'attaquer systématiquement à nos acquis sociaux, aux services publics, à l'école, à l'hôpital.
Deux conceptions s'affrontent dans cette campagne finalement : celle de Nicolas Sarkozy, une Europe des nations. Alors que la nôtre est celle d'une Europe intégrée. Il va falloir rouvrir le débat institutionnel. Le traité de Lisbonne est mieux que celui de Nice mais il reste très insatisfaisant. Il nous faut donc une Europe plus puissante et plus intégrée sur le plan politique.
On évoque une sortie de crise en 2010. Vous y croyez ?
Au sommet du G20, l'Europe n'a pas coordonné ses politiques économiques face à la crise. Il n'y a pas de plan de relance européen. Il y a une addition de plans nationaux. Et Barack Obama nous l'a beaucoup reproché, les économistes aussi, en disant que les Européens ne mettent pas assez dans le plan de relance.
La première proposition des sociaux-démocrates était de dire qu'il faudrait un plan de relance beaucoup plus fort, avec des grands travaux, avec un emprunt européen, qui permettrait de grandes infrastructures, beaucoup plus d'argent dans les politiques industrielles et de recherche, pour répondre à cette crise.
Il faut souhaiter que nous en sortions en 2010. Mais je le dis encore, les politiques qui sont menées ne sont pas à la hauteur alors que le chômage est en hausse.
Ce scrutin n'est-il pas déjà pénalisé par un émiettement des voix à gauche et une possible abstention des électeurs ?
Oui, c'est le plus grand risque. Vous savez, l'indifférence, le cynisme, la peur profitent toujours à la droite. Il faut comprendre que si on veut du progrès, il faut se mobiliser. Il ne faut pas se laisser aller à l'abstention. On peut peser sur les choix européens. On vient de le démontrer sur la loi Hadopi. Alors, oui, l'abstention, c'est un risque et c'est inacceptable. Aujourd'hui, on a un choix démocratique à faire, il faut l'exercer.
On ne gagne pas une élection uniquement dans le rejet.
A gauche, on voit qu'il y a plusieurs offres politiques. Je dis à tout le peuple de gauche qu'on a déjà vécu un 21 avril 2002 et ça fait sept ans qu'on est victime de politiques de droite. J'ai beaucoup de respect pour toutes les autres formations de gauche, mais aujourd'hui, si on veut mettre un point d'arrêt à ces politiques libérales, et sanctionner ces mêmes politiques que nous retrouvons en France, il faut mesurer que ce scrutin impose que nous soyons sur le vote socialiste. C'est uniquement le Parti socialiste européen qui propose un programme qui serait applicable par les vingt-sept pays, avec par exemple un salaire minimum européen. Nous avons un projet, nous avons une majorité potentielle et le mode de scrutin impose de ne pas disperser les voix.
Vous considérez que le 7 juin doit être un vote sanction contre Nicolas Sarkozy ?
Les Français que je rencontre ne sont pas très contents du gouvernement Fillon et de la politique de Nicolas Sarkozy. Je ne crois pas qu'on gagne une élection uniquement dans le rejet. La sanction, elle va venir de toute manière parce que visiblement 70 % des gens ne vont pas voter pour l'UMP.
Le Parti socialiste est un parti qui propose des perspectives. Et c'est la campagne que je fais. Je dis ce qu'on a fait les uns et les autres, voilà la réalité de nos propositions. Nous avons à les faire connaître, sur le terrain. Nous sommes dans une campagne de propositions et de projets majeurs comme un plan de relance européen pour sortir de la crise, un pacte de progrès social qui permettraient une harmonisation dont nous avons besoin, y compris pour lutter contre les délocalisations.
Le MoDem est-il un rival pour la gauche ? N'est-il pas en train de gagner des voix qui iraient au PS ?
Nos amis du MoDem, au parlement européen, siègent avec le parti libéral. Et j'avais demandé à François Bayrou, il y a quelques mois, de clarifier sa position. Etre tout à fait républicain et à la tête du combat anti-libéral en France et siéger au parti libéral en Europe, ça n'a pas de cohérence. Or, il ne nous apporte toujours pas de réponse sur ce qu'il fera. Je rappelle que les députés MoDem ont voté souvent avec la droite sur des textes importants et préoccupants. Ils n'ont pas été à nos côtés dans nombre de combats, en particulier contre la déréglementation financière dont nous sommes aujourd'hui tous les victimes.
J'appelle donc les électeurs à regarder les choses avec attention. Nous, progressistes, nous devons parier sur l'intelligence des citoyens. L'équivoque, la désinformation, ça sert toujours les conservateurs. Et ça vaut pour le MoDem.
Propos recueillis par Emmanuel HASLE
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