A gauche, la rentrée politique est dominée par les conséquences de la secousse née des élections européennes de juin. Jusqu'alors, le Parti socialiste donnait le ton et dominait les débats. Talonné par les listes Europe Ecologie (16,2 %) menées par Daniel Cohn-Bendit, le PS qui n'a totalisé que 16,4 % des voix doit non seulement reconsidérer son discours sur la crise - en particulier sa capacité à répondre à la crise écologique - mais aussi prendre acte qu'un rééquilibrage est intervenu. A l'approche des régionales de mars 2010, qui verront les Verts chercher à faire cavalier seul au premier tour, et des présidentielles de 2012, l'avenir de l'opposition sera tributaire de la capacité des écologistes et des socialistes à faire converger leurs propositions. Parmi les débats les plus saillants, figurent la définition d'une réforme de la fiscalité capable à la fois de protéger l'environnement et de réduire les inégalités mais aussi la mise en oeuvre de nouveaux instruments de régulation de l'économie.
Daniel Cohn-Bendit, dont la personnalité a largement contribué au succès des listes Europe Ecologie, constitue la figure de proue des écologistes qu'il a su fédérer en allant au-delà des seuls Verts. Favorable à un élargissement du système d'alliances du PS, Vincent Peillon a pris la tête du principal courant du Parti socialiste. Leurs réponses à la crise sont souvent convergentes.
Les écologistes vont présenter leurs propres listes au premier tour des élections régionales de mars 2010. Y aura-t-il un code de bonne conduite au sein de la gauche pour préparer le second tour ?
Daniel Cohn-Bendit. Je ne sais pas si on en aura besoin. Les écologistes vont mettre en pratique un mot d'ordre : présenter des listes autonomes pour changer la gauche et défier politiquement la droite au pouvoir. Nous ferons campagne pour notre propre projet, pour montrer la spécificité de l'écologie politique, pas contre le PS. Ensuite, ce seront les citoyens qui décideront du rapport de forces dans les majorités en fonction des résultats du premier tour. On n'aura pas besoin de faire un code de bonne conduite si on comprend que ce que cherchent les citoyens, c'est une confrontation de projets. Pour les alliances au second tour, ce seront tous ceux qui veulent défier la droite au pouvoir : c'est-à-dire la gauche traditionnelle autant que des forces présentes par exemple au MoDem, qui ne se disent pas de gauche mais qui pour moi font partie d'un potentiel majoritaire anti-droite.
Vincent Peillon. Si l'on veut éviter des mésaventures, il faut se rassembler. Il ne faudrait pas que le succès des listes Europe écologie conduites par Daniel Cohn-Bendit pousse nos amis Verts à penser qu'il y a là une manne pour l'éternité. Puisqu'on dirige ensemble des villes, des départements et des régions, ce rassemblement est non seulement souhaitable mais doit être possible. De toute façon, pour gouverner, nous devrons construire des rassemblements larges et des majorités fortes allant jusqu'au MoDem. La France, si elle veut être moderne, pratiquer une culture du dialogue, du respect, du compromis, et accomplir les réformes structurelles dont elle a besoin, va devoir moderniser son système politique et sortir de la brutalité du scrutin majoritaire.
Une minorité ne peut pas gouverner pour une majorité de façon efficace et durable. Or c'est à cela que conduit notre système et c'est pour cela que la France prend trop de retard : on arrive à conjuguer arrogance et impuissance. Je souhaite qu'en 2012 le choix d'un scrutin proportionnel pour construire les majorités parlementaires soit au coeur du projet et du contrat que nous proposerons aux français.
Pourquoi le PS a-t-il eu tant de mal à prendre la mesure de la crise écologique ?
Vincent Peillon. Ce n'est pas spécifique au Parti socialiste. Les esprits n'ont évolué que récemment sur ces sujets. En Europe, ce sont les sociaux-démocrates, pas les libéraux ni les conservateurs, qui ont été les premiers à reprendre les thèses du développement soutenable, en particulier dans les pays nordiques. En France, lorsque les socialistes reviennent au pouvoir en 1997, c'est sur la thématique de la priorité à la lutte contre le chômage. La gauche "plurielle" conduit alors à sous-traiter aux Verts la question écologique. C'est aussi lié à la culture productiviste du socialisme français, très imprégné de marxisme, et au fait, plus conjoncturel, que les grands dirigeants socialistes, Jospin, Mauroy, Rocard, sont de la génération des trente glorieuses.
Aujourd'hui, cette question est pour nous réglée. L'enjeu est de donner un contenu précis à l'idée de nouveau modèle de développement, de le traduire en programme cohérent de réformes pour une action gouvernementale.
Daniel Cohn-Bendit. La crise écologique nous oblige à repenser toute la politique sociale traditionnelle. Cela place forcément le PS, comme tous les partis sociaux démocrates, devant leurs contradictions. Prenons un exemple : Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, vous dira "mais bien sûr qu'il faut une politique écologique conséquente". Mais dans le même temps, dés que l'on discute de la construction d'un nouvel aéroport dans sa région, il est pour ce grand projet écologiquement discutable. Le PS est aussi contradictoire que les citoyens : ils sont pour une politique écologique conséquente s'ils ne doivent pas en supporter les conséquences.
Mais ce n'est pas possible ! C'est pourquoi nous avons besoin d'une force écologiste autonome qui permette ce débat qui traverse tous les citoyens.
Vous acceptez l'un et l'autre le principe d'une taxe carbone. Comment rendre ce prélèvement juste ?
Daniel Cohn-Bendit. La contribution climat énergie est une nécessité reconnue par tous les grands spécialistes sur le climat pour amener nos sociétés à consommer moins d'énergie. C'est vital si on veut s'attaquer aux dérèglements climatiques. Il faut donc annoncer dés le départ que cette taxe augmentera de 5 % chaque année : cela nous obligera tous à faire des économies d'énergie.
Mais il y a un vrai problème social. La proposition de la commission Rocard qui est de redistribuer les bénéfices de cette contribution - les familles reçoivent un chèque et le système leur donne la possibilité de gagner de l'argent s'ils font plus d'économies d'énergie - me paraît aller dans la bonne direction. Mais cela veut dire qu'il faut arrêter de discuter de la contribution climat-énergie en y intégrant la taxe professionnelle ou je ne sais quoi ! Cette taxe n'est pas un moyen de renflouer le budget de l'Etat mais une mesure qui nous permettra à moyen terme de faire d'énormes économies d'énergie.
Vincent Peillon. S'il s'agit de taxer un peu plus les ménages, avec une augmentation qui serait d'après les calculs des économistes d'environ 7 centimes au litre à la pompe, pour exonérer en plus les entreprises, la ficelle est grosse. C'est inefficace écologiquement, injuste socialement, stupide économiquement. C'est pourtant ce qu'on semble nous proposer ! Soyons concret : la personne habitant en grande banlieue et ne disposant pas d'autres moyens pour se rendre à son travail que sa voiture ne changera pas son comportement parce qu'elle ne le pourra pas. Elle sera donc juste plus lourdement taxée. Si en plus le produit de cette taxe supplémentaire est versée aux entreprises de telle sorte que même l'entreprise la plus polluante soit exonérée, alors là bravo !
Pour éviter cette catastrophe fiscale supplémentaire, il faut au minimum deux choses. D'abord une véritable politique écologique globale, ce qui suppose des investissements lourds afin de construire des alternatives (transports en commun, véhicule électrique) et d'opérer une réelle mutation des comportements.
Ensuite, une redistribution intégrale aux ménages des produits de cette taxe, pour encourager ces nouveaux comportements. La fiscalité écologique ne doit pas être une perversité ou une incongruité de plus de notre système fiscal. C'est dans le cadre d'une réforme d'ensemble de notre système fiscal qu'il faudra en définir les modalités et les niveaux Cette réforme doit être une des principales propositions de la gauche et des progressistes pour 2012, un des chantiers majeurs de discussion. L'impôt en France n'est ni progressif ni redistributif ni transparent. Contrairement à l'idée reçue, entre les prélèvements sociaux, les impôts indirects et la fiscalité locale, les salariés modestes et moyens sont presque aussi taxés que les plus aisés, et parfois même davantage selon les opportunités pratiquées à travers les niches fiscales par ces derniers. Dés lors, je crois qu'il faut créer un grand impôt progressif, lisible, simple, à partir d'un socle qui serait la fusion de la CSG et de l'impôt sur le revenu et qui inclurait les impôts locaux. Un impôt juste, efficace et lisible c'est aussi une conception de la citoyenneté et une certaine idée de la République. C'est avec de telles réformes qu'on pourra construire l'union et retrouver la confiance des français.
Les Verts et le PS sont-ils capables de se mettre d'accord sur cette réforme fiscale ?
Daniel Cohn-Bendit. C'est une nécessité. Mais la grande réforme fiscale dont nous avons besoin ne se résume pas à une simplification de l'impôt sur le revenu. Elle doit intégrer la fiscalité écologique et répondre ainsi à la fois aux inégalités et à la dégradation climatique en imposant l'empreinte écologique et en défiscalisant le travail. C'est un changement de paradigme : nos impôts ne doivent plus être calculés sur la seule base du travail. La même logique doit prévaloir dans la manière dont nous repensons le financement de la protection sociale : il faut trouver des moyens de financement qui déchargent le travail, imposer la circulation de l'argent et de tous les revenus qui ne sont pas liés au travail. Nous devons réduire les inégalités en laissant plus d'argent aux salariés et en finançant autrement l'Etat social.
La question de la réforme fiscale soulève de manière générale un problème fondamental de nos sociétés modernes : comment marier autonomie et liberté des citoyens avec un sens des responsabilités nécessaire pour répondre aux défis économiques et écologiques auxquels nous sommes confrontés. Une réforme fiscale symbolise ou ne symbolise pas cette responsabilité collective.
Vincent Peillon. Je crois qu'il nous faut relancer l'idée d'une taxe sur les transactions financières. Je suis étonné que la crise financière n'ait pas remis l'idée de la taxe Tobin ou d'un équivalent dans le débat public. On pourrait prendre ensemble une initiative en ce sens au Parlement européen. Par ailleurs, il faut prendre la juste mesure du fait que malgré cette crise très peu de choses ont changé, et qu'elles ne changeront qu'avec une volonté forte, instruite, constante. Lorsque j'ai présidé la mission anti-blanchiment du Parlement français, nous avons terminé par la conférence de Paris avec l'ensemble des Parlements nationaux européens et le Parlement européen où nous avons adopté 50 mesures. Presque toutes restent d'actualité : elles portent sur la supervision bancaire, la coopération judiciaire, beaucoup de sujets techniques mais qui détiennent les clés d'un véritable changement.
Il faut rompre avec la culture de l'autorégulation pour construire un pouvoir de contrôle et de sanction. C'est l'affaire du XXIe siècle : puisque le marché est mondial - et on le ne fera pas rentrer dans les cadres nationaux -, il nous faut construire des régulations démocratiques, sociales, économiques, environnementales dans le cadre multilatéral, et donc, on peut l'appeler comme on veut, une puissance publique mondiale. C'est dans cette perspective aussi que l'Europe a du sens.
Si la gauche pense que l’écologie est une idéologie, il est logique que les verts aient autant de succès ! Mais l’écologie n’est évidemment pas une idéologie. C’est une façon de se comporter. Je crois, même si la lecture est parfois un peu difficile, que le parti socialiste a pour objet de créer les conditions dans toute la société pour améliorer les conditions de vie des gens qui vivent en France et en Europe.
Imaginer qu’on peut produire de l’électricité nucléaire ou traire le pétrole de la terre, ou encore pêcher dans la mer avec des filets géants sans mettre en danger à long terme les conditions de vie, cela relève de la mauvaise foi, ou de l’aveuglement (la deuxième hypothèse, pour un homme politique, est certainement plus insultante que la première :o)).
L’écologie, c’est simplement la certitude qu’il ne faut pas voir les problèmes et les solutions de façon isolées, mais toujours de façon systémique, sinon on crée plus de problèmes qu’on en règle. C’est aussi simple que cela. Alors si les verts sont capables de rassembler sur ce point de vue, c’est bien le diable que le PS en soit incapable puisque le PS n’a que ça comme objet : améliorer les conditions de vie.
En terminale (ce qui remonte à presque 20 ans), j’avais un prof de philo qui a séparé ses élèves en deux groupes : les savants fous et les déménageurs patients. J’appartenais aux déménageurs patients. Cela signifiait, je crois, que je faisais passer mon raisonnement bien avant mes convictions. Je souhaite au PS de devenir un parti de déménageurs patients.
Au fait, mon prof de philo s’appelait Vincent Peillon.
Rédigé par : Victor Silberfeld | 21 août 2009 à 16:54