Vincent Peillon a débattu ce mardi avec les internautes du site lemonde.fr. Voici le compte-rendu.
Eléonore : Le 16 mars, les électeurs ont surtout exprimé un vote de défiance plus que d'adhésion à la gauche. Qu'en pensez-vous ?
Vincent Peillon : Je pense deux choses : ils ont exprimé au plan national un vote de défiance très fort à l'égard de Nicolas Sarkozy et François Fillon, et au plan local, un vote d'adhésion aux équipes et aux projets de la gauche.
bibounette : Vous avez gagné les élections municipales et remporté plus de trente villes de 30 000 habitants, et alors ? Contrairement à la droite, vous n'avez pas de projets, pas d'idées de réforme... Allez dans d'autres pays européens et regardez comment la gauche s'en sort !
Vincent Peillon : D'abord, nous allons dans les autres pays européens. Il y a même eu une mission conduite par Henri Weber pour regarder comment ils font dans les autres pays. Deuxièmement, à 15 heures, nous rencontrons avec Ségolène Royal Martin Schulz, président du groupe socialiste au Parlement européen.
Il n'est pas vrai de dire que la gauche n'a pas de proposition, que ce soit sur les retraites, la protection sociale, la décentralisation ou les institutions. Mais ce qui est juste, c'est que cette élection ne portait pas sur cette question, et qu'il nous reste, d'ici à 2012, à bâtir un projet crédible pour proposer une alternance aux Français.
Charles : Ségolène Royal a prôné des alliances systématiques avec le MoDem. Le jeu d'alliance proposé par Ségolèn Royal est-il donc le bon pour porter la gauche en 2012 à la tête du pays ?
Vincent Peillon : D'une certaine façon, il y a un faux débat. Notre stratégie est simple : il faut un PS fort, des alliances avec la gauche, et ensuite, ouvrir vers ceux et celles qui ne se reconnaissent pas dans la politique conduite par la droite de Nicolas Sarkozy. C'est le cas de beaucoup de militants et de responsables du MoDem, qui ont d'ailleurs fait leur choix dans beaucoup de collectivités locales, soit au premier tour, soit au second.
En réalité, la question qui se pose est d'abord posée au MoDem : veut-il être conséquent avec lui-même, donc accepte-t-il de travailler avec la gauche ?
Adrien_L. : Le PS va-t-il se poser en rassembleur de la gauche, alors qu'il a lui-même tenté de prendre des bastions au PCF ? N'y a-t-il pas une stratégie opportuniste dans tout cela ?
Vincent Peillon : Dans les élections locales, il y a toujours une grande diversité et, par rapport à la ligne générale, des exceptions. Notre volonté reste la même : clarifier le projet du PS, rassembler la gauche et élargir ensuite.
dede13 : Comment le PS va-t-il pouvoir transformer son succès électoral municipal en alternative crédible pour l'élection présidentielle ?
Vincent Peillon : De plusieurs façons. D'abord, il doit trancher – sans se diviser – un certain nombre de débats de fond concernant les problèmes des Français qui ne l'ont pas été suffisamment ces dernières années.
Ensuite, il doit s'inspirer des expériences et des politiques conduites sur le terrain par ses présidents de région, ses responsables de conseils généraux, ses municipalités, pour formuler un projet qui soit à la fois cohérent, crédible, clair et qui réponde aux défis du présent et de l'avenir. C'est l'enjeu des mois qui viennent.
Malon : Vous avez engagé un travail de "refondation de la gauche" en publiant des textes du XIXe siècle... Que nous disent ces auteurs (Leroux, Jaurès, Malon, Bouglé, Fouillée, Bourgeois, Pécaut, etc.) pour aujourd'hui et pour demain ? Pourquoi ceux-là ? et pourquoi maintenant ?
Vincent Peillon : Le paradoxe, c'est que pour accoucher de l'avenir, il faut souvent se réengendrer, d'une certaine façon, et cela passe par une réécriture de l'histoire. Un nouveau récit. De nouvelles fondations.
Le renouveau de la gauche française suppose de reprendre contact avec la tradition du socialisme républicain, oubliée à partir de 1905, et qui dépassait déjà certaines des fausses alternatives où nous nous trouvons enfermés : alternative entre l'individu et l'Etat, entre le socialisme et le libéralisme, entre la liberté et l'égalité, entre la nation et l'internationalisme, entre la responsabilité et l'assistance.
Donc nous avons beaucoup à apprendre des élaborations théoriques de ceux qui ont à la fois établi la République, fait voter les premières lois sociales, construit le mouvement syndical et mutualiste, c'est-à-dire un modèle républicain et social français dont, d'ailleurs, à l'issue de la seconde guerre mondiale, ceux qui, issus de la Résistance, ont mis en place la Sécurité sociale ou la doctrine de l'Etat se sont à nouveau inspirés. C'est un élément essentiel de la refondation, qui suppose de se trouver de nouveaux fondements.
Barni : Comment expliquez-vous l'absence des intellectuels autour du PS ? D'aucuns parlent du "silence des intellectuels"....
Vincent Peillon : Mon sentiment est inverse : il y a une très grande richesse de la production intellectuelle française, en histoire, en sociologie, en économie, en philosophie, et aussi d'ailleurs dans les sciences exactes. Et beaucoup de ces chercheurs, de ces intellectuels souhaitent à nouveau s'engager, à leur place, sans être instrumentalisés, dans la redéfinition d'une pensée progressiste.
C'est aux politiques, aujourd'hui, de faire l'effort de les lire, de les rencontrer, de dialoguer avec eux. C'est ce que nous avons commencé à faire avec l'Institut Edgar-Quinet, qui organise des rencontres entre les élus locaux engagés au corps-à-corps dans la mise en œuvre des politiques publiques, et ceux qui produisent des idées.
C'est d'ailleurs un échange mutuel, un aller-retour, une fécondation réciproque, parce que autant les élus ont besoin de prendre un peu de distance par rapport à leur engagement quotidien, autant les chercheurs ont besoin d'éprouver leurs théories au contact des expériences de terrain.
C'est la même démarche, à un autre niveau, qui est conduite par Ségolène Royal, qui réunit de nombreux intellectuels pour réfléchir – c'est ce qu'elle appelle le "groupe des vingt" – au projet des socialistes pour demain.
max : Le problème dans ce pays est la répartition des richesses entre le capital et le travail, on le voit entre les bénéfices des sociétés du CAC 40 et des grandes chaînes de la distribution, où la plupart des salariés sont payés au smic ou sont à temps partiel. Que proposez-vous ?
Vincent Peillon : La France, qui comme l'on avait dit autrefois, a une préférence française pour le chômage, semble mettre en œuvre une préférence pour les inégalités. Et celle-ci s'est encore accrue depuis 2002. C'est vrai qu'il y a une inégalité française – mais pas seulement française – entre le capital et le travail, mais il y a aussi d'autres inégalités qu'il ne faut pas sous-estimer : inégalité entre les générations, inégalité entre les territoires, inégalité entre les hommes et les femmes, et il semble bien souvent que l'on pratique une redistribution à l'envers.
Pour remédier à cela et reprendre le combat pour l'égalité, qui est au cœur du projet de la gauche, il faut jouer sur une multitude de registres : sur le plan international et européen – mécanismes de régulation, harmonisation fiscale, harmonisation sociale, règles de la concurrence –, sur le plan national – réforme fiscale, conférences sur les salaires et le pouvoir d'achat, refonte de l'Etat-providence et investissements dans l'éducation, solidarité des territoires avec péréquation des richesses, etc.
Cet objectif doit se poursuivre dans toutes les politiques publiques et devrait donner lieu à des indicateurs au fur et à mesure de l'action, qui permettraient d'amplifier les politiques publiques.
nessundorma : Sur le plan municipal, les voix des socialistes peuvent être multiples. Mais sur le plan national ? Un vrai leader respecté et écouté, c'est pour quand ?
Vincent Peillon : Nous avons plusieurs sujets à trancher : la question du projet et la question du leader. Les deux doivent marcher ensemble. Ceux qui pensent qu'on peut résoudre la question du projet sans celle du leader nous trompent, c'est ce qui nous est arrivé depuis 2002.
Ceux qui pensent, inversement, que la question du leader se suffit à elle-même, se trompent tout autant. Il faut résoudre cette double question dans le congrès qui se finira au mois de novembre. Il s'ouvrira début juillet et finira en novembre.
kash15 : Etes-vous intéressé par le poste de premier secrétaire du PS ?
Vincent Peillon : Je plaide depuis plusieurs mois pour que l'on investisse à la tête du Parti socialiste la personne qui est en même temps le leader de la gauche devant l'opinion. Et j'ai cru observer, malgré toutes les qualités que je me prête, que ce n'est pas moi.
Hicham : Pensez-vous que Ségolène Royal puisse réellement briguer le PS, rénover le PS, absorber l'électorat de Bayrou, et viser l'Elysée en 2012 ?
Vincent Peillon : Elle le doit, donc elle le peut, comme dirait Emmanuel Kant. L'essentiel pour moi est qu'on l'aide dans cette tâche plutôt qu'on multiplie les embûches et les petites phrases.
oups : Faut-il avancer la date du congrès socialiste ?
Vincent Peillon : Il n'y aurait rien de pire que de conduire des discussions sur des sujets subalternes qui sont sans effet sur la vie des Français : question de date, question uniquement de statut interne, faux débat sur les alliances.
Ce congrès doit porter sur le projet qui est le nôtre pour la France et permettre de rassembler une majorité de socialistes d'abord, la gauche ensuite, une majorité de Français enfin, autour d'une dynamique de transformation politique – je suis pour une VIe République – et sociale crédible et nouvelle.
C'est notre tâche, il ne sert à rien de se focaliser sur ces histoires de date, et c'est pourquoi j'ai donné, comme Ségolène Royal d'ailleurs, il y a maintenant un mois, mon accord à François Hollande sur le calendrier qu'il a proposé.
nessundorma : Estimez-vous que le premier secrétaire qui sortira du prochain congrès aura naturellement vocation à être le candidat des socialistes pour la présidentielle de 2012 ?
Vincent Peillon : Il n'y a pas, en démocratie, de vocation surnaturelle ou naturelle. Il y a un travail à accomplir, et à chaque jour suffit sa peine.
De toute façon, les socialistes – mais j'espère aussi plus largement la gauche –, à travers un processus de primaires, auront à choisir leur candidat ou leur candidate en 2011.
Certains font semblant de mêler les deux débats. Je souhaite pour ma part que Ségolène Royal puisse dès le prochain congrès conduire la rénovation du PS avec le plus grand nombre de socialistes rassemblés autour d'elle.
Mais je sais qu'il n'y a aucune automaticité à ce qu'elle devienne ensuite candidate à nouveau à la présidentielle. Il faut faire ses preuves, il faut mériter ce que sera alors un vote libre et démocratique.
Pepe : Quelle place pour vous au sein du PS et auprès de Ségolène Royal ?
Vincent Peillon : La place du militant que j'ai toujours été, qui poursuit depuis 1994, date du dépôt de ma première motion, la volonté de faire avancer les idées dans le parti, dans le pays, et de rassembler mon camp autour d'une exigence de rénovation intellectuelle, morale et politique.
chris71 : Les bons résultats aux municipales et cantonales ne vous font-ils pas croire que les votes exprimés pour la présidentielle et les législatives étaient plus des votes anti-Royal et non pas anti-PS ?
Vincent Peillon : Il suffit de regarder la participation aux deux scrutins pour comprendre que cette question n'a d'autre vertu que polémique. Même si la gauche est majoritaire en voix à cette élection intermédiaire, elle a obtenu beaucoup moins de voix que Ségolène Royal à la présidentielle. Il serait absurde de vouloir, dans un sens ou dans l'autre, instrumentaliser ces scrutins pour ou contre Ségolène Royal.
kitty : Mitterrand a fait l'union de la gauche, vers la gauche, ne faut-il pas penser maintenant à l'union vers le centre ?
Vincent Peillon : Mitterrand n'a pas fait que l'union de la gauche, il a été élu en 1988 avec la France unie et une logique d'ouverture. Ce qui est certain, c'est qu'il faut toujours chercher à élargir sa base politique et respecter celles et ceux qui peuvent être vos partenaires.
Les Français, mais la gauche aussi, dans son histoire, aiment et sont attachés au pluralisme des familles politiques et au respect, y compris des minorités. C'est un bon principe que de vouloir s'ouvrir plutôt que de se refermer sur soi. Le repli sur soi, c'est toujours, pour un organisme politique comme pour un organisme vivant, le symptôme d'une nécrose.
Claude D : Moi, je crois que Martine Aubry s'intéresse plus aux salariés que Ségolène Royal. Et vous, qu'en pensez-vous ?
Vincent Peillon : J'ai beaucoup d'amitié pour Martine Aubry, mais je ne crois pas qu'il y ait de compétition à faire de ce point de vue entre l'une et l'autre.
tri : Le PS ne devra-t-il pas mener, dans la perspective des élections européennes, une réflexion sur ses convictions profondes ?
Vincent Peillon : C'est un sujet essentiel. Nous avons à la fois à réaffirmer notre engagement européen, à créer les conditions pour pouvoir peser au sein de l'Europe, y compris dans notre propre famille politique, et faire valoir un certain nombre de nos exigences en termes d'approfondissement démocratique, de coordination économique, d'harmonisation fiscale et sociale, de développement durable, de respect du service public.
Je pense que si les socialistes français travaillent sur le fond, ils pourront construire une position claire et offensive, largement majoritaire au sein du Parti socialiste, et c'est sans doute un des enjeux qu'il ne faut pas éluder dans le congrès. Pas plus d'ailleurs, car les deux sont liés, que notre rapport à la mondialisation, qui ne peut ni se borner à un simple refus, ni se satisfaire de l'état des choses.
Zellig : Aujourd'hui, les professeurs des collèges et des lycées sont en grève, pour protester notamment contre la suppression de 11 000 postes. L'éducation nationale est mise à mal par la droite en place. Que diriez-vous à ce jour aux enseignants ?
Vincent Peillon : On a construit la République française autour de son école, et l'école, dans ses différentes fonctions, d'instruction et d'éducation, est à la fois le ciment de notre communauté nationale et l'anticipation de la société de demain.
A fortiori dans une économie où la connaissance devient le facteur productif essentiel, nous devons accorder à l'école, à l'enseignement supérieur, à la recherche, l'absolue priorité. Et c'est une faute considérable de ce gouvernement de ne pas le faire.
Je crois donc qu'il va falloir revenir à une politique qui redonne à l'école la priorité, et restaurer un pacte entre la nation et ses enseignants qui est aujourd'hui, malheureusement, trop abîmé.
nessundorma : Qu'est-ce qui vous apparaît comme la pomme de discorde la plus sérieuse entre les différents courants du PS : l'Europe ? les alliances ? l'économie mondialisée ?
Vincent Peillon : Si l'on n'était pas sur des clivages de personnes, des préjugés ou des a priori qui occupent l'essentiel des débats, en tout cas dans la presse, je crois que les vrais désaccords – à vérifier tout de même dans des discussions loyales – tourneraient autour des conséquences que nous tirons de notre place en Europe et de notre rapport à la mondialisation.
En dehors des jeux tactiques, stratégiques des uns ou des autres, il me semble qu'il y a au Parti socialiste essentiellement deux familles politiques : l'une largement majoritaire, en gros ceux qui ont voté pour Ségolène Royal et Dominique Strauss-Kahn à la désignation interne, qui ont une approche plus positive de l'Europe et de la mondialisation ; et l'autre, ceux qui ont voté pour Laurent Fabius, avec Henri Emmanuelli, Marie-Noëlle Lienemann, Jean-Luc Mélenchon, d'anciens amis de Jean Poperen, qui ne partagent pas ce point de vue.
nAlonzo : Comment expliquer la très faible représentation des minorités visibles sur les listes municipales ?
Vincent Peillon : Cette représentation est sans doute encore trop faible, mais elle a fortement progressé.
philippe : Que devrait faire l'Europe face à la crise financière actuelle ?
Vincent Peillon : Le problème de l'Europe est le problème global de sa politique économique. Sa croissance est trop faible, sa monnaie est trop forte, son inflation est trop importante, il faut jouer là encore sur une multitude de facteurs, à la fois sur le budget, la fiscalité, la politique monétaire, la coordination des politiques économiques. Bref, il y a beaucoup à faire.
Isaac (Paris) : Je suis membre de votre courant, le Nouveau Parti socialiste (NPS). Sommes-nous amenés à disparaître ? Si oui, comment allons-nous nous organiser ?
Vincent Peillon : Surtout pas disparaître. Le travail qui a été le nôtre a été fécond, et je constate d'ailleurs que beaucoup de nos exigences, de nos propositions sont aujourd'hui reprises par une grande majorité des militants et des responsables. Nous avons malheureusement souffert de trop de divisions internes. Il faut reprendre notre démarche, et nous trouverons ensemble l'occasion d'être utiles à nos valeurs comme à notre famille politique dans les mois qui viennent.
Merci beaucoup à tous, et au plaisir de pouvoir continuer ce dialogue de vive voix autrement !
Chat modéré par Constance Baudry
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