C’est avec stupéfaction et colère que j’entends aujourd’hui certains faire griefs aux socialistes d’avoir négligé les désordres du système financier international et de n’avoir rien à dire sur les ressorts de la crise financière, les mêmes qui ont fait obstacle aux combats que nous avons pu mener. Le secret bancaire comme les crédits pourris se sont allègrement nourris du silence médiatique.
Les faits d’abord, pour ceux qui ont la mémoire courte ! Du printemps 1999 à mars 2002, j’ai présidé ce qui fut la plus longue mission parlementaire de la Ve République, consacrée précisément – à travers la lutte contre le blanchiment, la délinquance financière et les paradis fiscaux, bancaires et judiciaires – à cette question de la dérégulation. Avec le rapporteur de la mission, Arnaud Montebourg, avec les parlementaires qui voulaient bien nous accompagner dans nos périples, soutenus constamment par le gouvernement de Lionel Jospin malgré les difficultés diplomatiques que nos enquêtes pouvaient créer, nous avons consacré plusieurs monographies au Luxembourg, au Liechtenstein, à la Suisse, à Monaco, au Royaume-Uni et à la France elle-même. En 2002, peu avant le désastre du 21 avril, nous avons organisé à Paris une conférence des Parlements nationaux d’Europe où, après de longues négociations, nous faisions adopter 53 mesures sur la transparence des mouvements de capitaux, sur les sanctions contre les pays non coopératifs et sur la coopération judiciaire, policière et administrative. S’y ajoutait le principe d’un rendez-vous périodique annuel ou bisannuel pour estimer les progrès de ce combat. L’Europe pouvait alors prendre la tête d’une approche régulatrice du marché et travailler à construire un embryon d’ordre public international.
De même nous avions fait adopter le principe que la mission parlementaire devienne une structure permanente de l’Assemblée nationale. En 2004, j’ai publié un ouvrage, les Milliards noirs du blanchiment (Hachette), où, prenant acte du fait que le gouvernement de droite élu en 2002 n’avait aucunement, malgré ses promesses, poursuivi le travail entamé, je dressais le bilan suivant : celui d’une mondialisation criminelle se nourrissant de l’hypocrisie des Etats, du désintérêt des opinions publiques, de la complicité des autorités financières et du silence suspect des relais médiatiques. Ceux qui nous font aujourd’hui reproche de n’avoir pas investi ce champ s’en sont ouvertement désintéressés et, ce faisant, ils ont condamné cette lutte en la privant de tout relais d’opinion.
La mondialisation que nous avons construite est douce aux oligarques, aux grands trafiquants de drogue, d’armes ou d’organes, aux grandes firmes, aux traders ; elle est dure avec les plus faibles, les travailleurs, les pauvres, les honnêtes gens qui n’ont pas pour première obsession de frauder le fisc. Comme nous l’avaient rappelé les juges de l’Appel de Genève en 1996, alors que le crime est transnational, que l’argent traverse les frontières à la vitesse électronique, les juges et les hommes de loi sont arrêtés aux frontières. Des mécanismes multiples et cumulatifs, basse pression fiscale, secret bancaire absolu, absence de coopération judiciaire, sociétés écran, absence de règles prudentielles et de supervision bancaire permettent à la finance criminelle de prospérer en toute impunité.
Malheureusement, on ne peut s’en tenir à cette première analyse. Car aucun d’entre nous ne peut sérieusement croire que s’il s’agissait seulement de protéger les terroristes, les trafiquants de drogues, les grands criminels, les Etats autoriseraient l’existence de tels mécanismes et la prolifération de tels territoires ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes. La finance criminelle est estimée à 5 % du PIB mondial, les transactions qui passent par ces boîtes noires à la moitié des flux financiers. Si ces mécanismes et ces territoires perdurent et prospèrent, c’est qu’ils servent d’autres intérêts : ceux des Etats, des grandes firmes et des grandes banques, et de fortunes puissantes. Les paradis fiscaux, bancaires et judiciaires nourrissent et abritent le crime. Mais c’est le prix que les grands agents du système financier international sont prêts à payer pour faire leurs profits comme ils l’entendent.
L’écart entre le droit et le fait, les discours et les actes, culmine ici à son maximum. Nous disposons de multiples conventions, déclarations, organismes, dans le cadre de l’ONU, de l’OCDE, de l’Europe etc. Or l’hypocrisie des Etats et l’intérêt bien compris des grandes entreprises permettent que ces organismes ne disposent jamais des moyens de se faire respecter et que les déclarations ne soient que des chiffons de papier. Le silence médiatique, rompu seulement lorsqu’il s’agit de mobiliser en urgence l’argent public pour sauver le système, participe de cette vaste hypocrisie. Plusieurs années à parcourir l’Europe, à rencontrer banquiers, autorités de régulations, juges, criminels, policiers, avocats, diplomates, ministres, nous ont conduits à cette conclusion que j’énonçais déjà en 2004 : l’ordre international est un grand désordre que personne ne maîtrise mais dont certains profitent, et la mondialisation telle qu’elle s’est construite depuis plus de vingt ans à coup de libéralisations est d’abord favorable à ceux qui veulent échapper aux règles du droit (pour ne pas parler de la vertu), aux exigences de l’intérêt général et à la recherche du bien commun.
Comment tracer dans tout cela un chemin ? Je ne reviens pas sur les mesures de régulation nécessaires. Mais l’expérience m’amène à soutenir que celles-ci ne seront mises en oeuvre que si elles sont portées par les opinions publiques avec force et constance. On ne reviendra pas en arrière. Ce que nous avons construit, à partir du XIXe siècle et après la révolution industrielle, de régulations démocratiques, sociales et même économiques dans le cadre de l’Etat nation, il va nous falloir le reconstruire au plan européen et au plan international. Cette tâche est celle du siècle qui s’ouvre. Elle sera longue, difficile, elle se heurtera à des intérêts puissants.
Nous savons aujourd’hui, et depuis plusieurs années, ce qu’il faudrait faire. La question n’est pas celle des problèmes, ils sont identifiés, ni celle des solutions, elles existent et sont bien répertoriées. Comme je l’écrivais déjà en 2004 : «La question est de construire une volonté commune.» Demandons à ceux qui semblent découvrir aujourd’hui les dysfonctionnements du système financier international, après les avoir si longtemps protégés d’un manteau de silence, s’ils auront cette volonté au-delà de quelques jours et de quelques déclarations purement commerciales pour vendre de la peur à des opinions publiques déboussolées. Si ce n’était pas le cas, le grand déferlement médiatique auquel nous assistons livrerait sa véritable stratégie : permettre que l’on renfloue au plus vite, avec la bonne volonté de celles et de ceux qui n’en sont pourtant que les victimes, un système profitable seulement à quelques-uns, faire en sorte que les beaux jours reviennent au plus vite pour tous ceux qui se nourrissent de cette mondialisation criminelle.
Bravo pour votre travail sur ces "milliards noirs du blanchiment" de l'argent ; je souhaite vous entendre encore dans les médias sur ces points jusqu'à ce que soient votées les lois, nationales et internationales, qui permettront d'assainir le système et de le rendre plus juste. Nous n'avons aucune raison d'accepter le servage pratiqué par le monde financier ni son action destructrice sur l'environnement.
Rédigé par : Claire | 29 octobre 2008 à 14:53
Et si les Partis politiques, tous, n'étaient plus que des vitrines, plus ou moins bien achalandées ? Ils devraient en tout cas, et rapidement, s'interroger sur leurs manières d'offrir des perspectives de gouvernance, s'interroger sur leurs manières d'organiser la militance, s'interroger sur la force de pénétration et la crédibilité des idées proposées.
Pour le Parti Socialiste, Ségolène Royal est la seule à dire clairement, explicitement que ces questions doivent trouver des réponses. La démocratie participative est une de ces réponses. Elle est un outil, dont l'apprentissage se poursuit, doit se poursuivre. Il en est d'autres :
- Les « mouvances » associatives par exemple. Chez les Verts, les Cohn-Bendit, Nicolas Hulot, José Bové sont beaucoup plus visibles et lisibles que les « institutionnels » Dominique Voynet ou Noël Mamère. Les associations politiques ont inventé le développement durable de l'écologie politique
- Au Parti Socialiste, mais aussi dans l'espace politico-médiatique français, Ségolène Royal est la plus audible, la plus critiquée, la plus commentée, la plus attaquée aussi. Ce qui vaudra toujours mieux que l'indifférence... Elle est la plus « borderline », parfois« tête-brûlée », souvent insaisissable, pour certains, incompréhensible. Elle ne correspond pas, et en cela est en avance sur son temps, au cadre dans lequel sont enfermés les discours conventionnels, contenus des leaders classiques. Cette liberté de parole qu'elle s'accorde, qu'on lui conteste y compris dans son propre camp, y compris dans la presse dite « de gauche », lui a permis d'aborder tous les sujets, y compris ceux jusqu'alors tabous ou enfermés dans des dogmes. En forçant un peu le trait, c'est un think-tank à elle toute seule...
Il n'est d'ailleurs pas tellement surprenant qu'on retrouve certains « ségolénistes », et non des moindres dans ces think-tank dont il serait temps de tenir compte, d'imiter les méthodes de travail, de reprendre et de diffuser leurs propositions. Je pense à la très proche de Royal, Aurélie Filippetti, qui travaille au service de la Fondation Jean-Jaurès (FJJ), clairement positionnée dans une mouvance strauss-kahnienne, mais ouverte à toutes les sensibilités. Je pense au très proche de Royal encore, Vincent Peillon, qui a créé l'Institut Edgar-Quinet, dont les travaux à venir seront une très attendue étude comparative des systèmes éducatifs.
Ségolène Royal, Aurélie Filippetti, Vincent Peillon, d'autres encore mais dont l'influence reste « confidentielle », ont compris l'importance de l'apport des intellectuels.
Dans ce domaine, tout ou presque reste à faire... Nous le ferons si la Motion E l'emporte le 6 novembre, très largement, pour le plus grand bien des MILITANTS!
Christophe
Rédigé par : Chris | 19 octobre 2008 à 10:44
Je suis totalement ecoeurée par l'actualité.
Obcène la perte de 600 millons d'euros des Caisses d'épargne ! Obcène ces reportages sur ces petits boursicoteurs qui se risquent à racheter des actions en espérant un profit rapide ! Monstrueux cette femme qui s'immole par le feu devant une prison pour protester contre la reconduite à la frontière de son compagnon ! Terrifiant le nombre de suicidés dans les prisons françaises ! Elle avait bien raison Ségolène de scander:" fraternité, fraternité, fraternité ". Et l'on s'étonne d'entendre siffler la Marseillaise. Nous le pays des droits de l'homme, nous la terre d'asile, que sommes nous devenus ?
Rédigé par : Prince Emmanuèle | 19 octobre 2008 à 00:28